Le lièvre
"Ce qui perd le lièvre c'est sa ruse. S'il courait droit devant lui il serait invincible."
La Comtesse de Breyves dans L'Enfant des lumières (Françoise Chandernaggor).
J’aime courir. Même en été à 11H du matin. Je pars en short moulant noir et en T-shirt noir. Normal, pour attirer un peu plus de chaleur ! mes baskets ornées d’une bande orangée dessinent des éclairs au fil de mes foulées.
Taper du pied sur le sol, sentir la sueur qui perle, le cœur qui bat dedans les tempes jusque dedans les chevilles. Lorsque je cours, une voix, ma petite conscience, me dicte chacun de mes gestes.
Ne t’arrête pas. allonge la foulée, tape le sol, il n’est pas ton ami. Et le goudron te le rend bien. fie toi à ton souffle et n’écoute pas tes jambes qui se plaignent. Lève les genoux, pousse des pieds sur le sol, cours, vole, ne t’arrête pas.
Aie un chrono mais ne regarde pas le temps toutes les trois secondes. Ne cherche pas à battre les autres mais à battre ta propre performance chaque fois. Et chaque fois recommencer.
Tes poumons se plaignent ? ne t’en préoccupe pas ! ils te remercieront après.
Accorde ta respiration avec ton allure, et fais du tout une danse endiablée. Ne fuis pas le soleil, au fond il te donne de l’énergie.
Sens ta bouche qui réclame à boire, sens tes orteils qui souffrent et frottent au fond de tes chaussures, sens ton dos qui nage dans ton T-shirt. Mais continue à courir !
Pourquoi t’arrêtes-tu tout d’un coup ? tu es fatiguée ? non. Tu as trop mal ? non. Je manque de motivation. C’est pas une raison, recommence, force ! travaille ton mental putain !
Je me rendis alors compte, sous ce soleil de plomb, qu’en frappant le sol c’était mon ombre que je piétinais et écrasais.
Mais pourquoi au fond ?
Une deuxième voix émerge dans mon esprit.
- Pourquoi cours-tu ?
- Quelle question ! parce que j’aime le sport. Je veux m’entretenir, progresser, me muscler, garder la ligne.
- C’est tout ?
- Non… Parce qu’après je me sens saine. J’ai l’impression d’évacuer toute poisse, toute crasse et de les chasser hors de moi. Je me sens libre, je me sens vivre puissance 10. et parce qu’après je me sens bien.
- Ah bon ? tu ne te sens donc pas bien en temps normal ?
- …
- Question suivante : après quoi cours-tu ?
- Bah, comme je viens de le dire ! la performance, les calories…
- Voyons, tu peux tout me dire !
- OK. Je cours après une autre. Une fille qui réussit, une fille qui sait ce qu’elle veut, ne fille amoureuse.
- Cela fait donc si longtemps que tu n’as pas été amoureuse ?
- Non. Mais c’est comme si ça ne s’était jamais passé, je ne veux pas en parler.
- Y-a-t-il donc quelque chose, quelqu’un qui te poursuit ?
- Un peu trop philosophique, tout ça, non ?
- Tu es en train de courir, tu peux consacrer un peu de ton cerveau à la philosophie. Cela occupe l’esprit et pendant ce temps là, tu cours.
- Si tu insistes. C’est la fille qui serait en prépa Bio qui me poursuit, c’est la fille qui a fait des erreurs, qui aurait du mieux traiter telle personne ou ne pas se laisser faire par telle autre, c’est celle qui aurait pu être plus jolie, celle qui lâche rien.
- Tu ne t’aimes pas ?
- Si, quand même !
- Tu n’aimes pas ce que tu fais ?
- Si, mais je ne peux m’empêcher de me demander ce que je serais devenue si j’avais louper le concours. J’aime ce que j’apprends mais les sciences me manquent.
- Ca y est.
- Quoi ?
- On a fini. »
En effet, cela faisait presque 50 minutes que je courais. Je sentis ma tête tourner, mes jambes flancher et mes pieds flamber. Mais je me sentais mieux, plus légère. Etonnant non ? de se sentir décrassée alors que son corps baigne littéralement dans la tenue collante… poisse, crasse, sors de là. Mensonges, questions, foutez le camp !
Je me sentais mieux, je me sentais saine.
Et vous, après quoi courez-vous ?